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La figure de Circé occupe une place fondamentale dans la lignée des personnages issus de la mythologie classique. Elle traverse les siècles, les courants artistiques aussi bien que littéraires, et les genres. Si la métamorphose peut être considérée comme la signature de ses actes magiques, elle se prête elle-même à ce jeu de la transformation. Notre objet est ainsi de comprendre et d'expliquer ce phénomène qui lui est propre. Circé se définit par ce qui tend à la destruction et la transformation. Elle est une image de la femme et de la voix toute puissante, concrétisée par un ensemble de moyens esthétiques et littéraires.
Dans l'étude présentée ici, textes et images s'entrelacent autour de la figure circéenne et tissent entre eux un système ordonnancé. Ce travail sur l'intermédialité bouscule donc la chronologie et la linéarité afin d'envisager ce système. Notre double corpus se compose de quatre œuvres littéraires. L'Odyssée d'Homère (chant X) constitue la genèse de Circé et celle des personnages de magiciennes et de sorcières qui lui succéderont. Dans le livre XIV des Métamorphoses d'Ovide, l'enchanteresse traverse les différents épisodes qui le constituent, tout en déployant son caractère protéiforme. Ulysses de J. Joyce (chapitre XV), offre à Circé un nouveau statut : la déesse devient prostituée. Outre cette métamorphose essentielle, le roman de Joyce nous a semblé fondamental dans la mesure où il ne peut être lu indépendamment du texte homérique. Enfin, le Ve traité de La Haine de la musique de P. Quignard, place au premier plan l'animalité de Circé. Cet aspect, auparavant évoqué par certains artistes, devient sous la plume de l'auteur, l'essence même de la figure.
Si Circé parcourt les siècles dans le domaine littéraire, l'histoire des arts la présente comme l'héroïne-clef d'une mythologie à la fois classique et contemporaine, qu'il s'agisse des arts plastiques (en particulier l'art vasculaire grec archaïque et classique, du maniérisme et du baroque, puis du symbolisme et du préraphaélisme) ou des arts du spectacle (opéra, ballet ou encore cinéma, dont il ne sera pas question ici). Incarnation d'un mystère, source de fascination et d'effroi, ou symbole d'érotisme et de sensualité, Circé offre différents visages au fil des siècles et de ses transpositions intermédiales. Dans quelle mesure incarne-t-elle alors une figure du liage, à l'origine d'un leitmotiv transhistorique et transgénérique ?
La structure de ce travail propose l'association de trois perspectives complémentaires : thématique (le jeu des métamorphoses), stylistique (les effets de réécritures) et transdisciplinaire (littérature / arts plastiques). Le premier chapitre (L'art de la variation. Circé : image de la magicienne / sorcière) définit la pluralisation et l'évolution de Circé.
Si l'on est convaincu que les voix et les poisons sont des instruments inextricablement liés à la représentation de Circé, il convient d'observer quels sont les traitements qui leur sont réservés et comment ils modifient, déplacent ou réaffirment notre perception de la figure (Chapitre II. Création et liage. Voix, poison et ravissement).
Réécrire ou recréer une figure, c'est également prendre en compte l'environnement dans lequel elle évolue, saisir les motifs et symboles (mort symbolique, piège, prison, initiation, animalité, etc.) qui l'accompagnent d'une œuvre à une autre, et voir quels liens Circé entretient avec eux. Cette perspective est étayée par notre troisième chapitre (Chapitre III. Aiaié la vénéneuse. Visages de la dévorante.)
Enfin, si la métamorphose constitue le pouvoir premier de Circé, et s'il a contribué à sa funeste renommée, nous établissons quels liens la transformation entretient avec la question de l'identité (Chapitre IV. Métamorphoses et identités : des contours indistincts).