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La critique a souvent souligné l’absence d’une tradition littéraire en République dominicaine. L’ouvrage de Rita de Maeseneer, critique littéraire à l’université d’Anvers, et le récent intérêt des éditions espagnoles montrent que ce petit « pays de nulle part » (Pedro Mir) n’est pas dépourvu d’une histoire littéraire non seulement par sa richesse et sa diversité mais aussi par une singularité du roman contemporain que représente le roman de la maison close (novela del prostíbulo).Thématique récurrente, dont l’exploitation littéraire résulte bien plus de la lecture socio-historique du pays que d’un lien hypertextuel. Jusqu’en 1960, le roman « costumbrista » dominicain s’intéresse principalement au contexte local en témoignant d’une littérature soucieuse d’exister à travers sa propre histoire et ses particularismes. Les premiers romans de l’univers de la prostitution s’inspirent de la réalité sociohistorique dominicaine qui, au début du XXe siècle, vit s’accroître la prostitution au rythme de la migration interne, comme le montre le premier chapitre : « les espaces de transgression en question ». Notre deuxième chapitre : « les espaces de clandestinité et des transactions morales » analyse les représentations textuelles de la maison close en confrontant l’approche des auteurs à la notion de tabous. Si la société dominicaine n’échappe pas à la condamnation morale, qui frappe la prostitution, les textes posent un regard tolérant, compréhensif, attendri, voire complice sur le fait prostitutionnel. Instituée comme dispositif social, reconnu pour son utilité collective et individuelle, la maison close incarne la société dominicaine, dans un troisième chapitre, nommé : « La marginalité au centre du pouvoir, sens et métaphore de la maison close ». Toute une rhétorique de l’espace, à l’origine de métaphores multiples et significatives se développe transcendant ainsi le binarisme Bien/Mal et aboutissant à une présentation du « bordel » comme lieu d’émancipation, aux derniers jours du dictateur Trujillo. Envisagée, dès lors, comme construction sociale, la maison close comme la prostituée deviennent l’angle critique des écrivains dominicains contre les dynamiques internes du trujillisme. La transgression des règles morales finit par dépasser les limites du « bordel », transformé en miroir de la société dominicaine sous Trujillo par sa représentation géographique, son fonctionnement et ses répercussions sur une population soumise. Et dans ce « bordel » dominicain, le dictateur représente désormais le souteneur et la prostituée, l’archétype de la soumission. Les histoires personnelles deviennent des contre-vérités face à une Histoire officielle, « littéralement » battue en brèche par des romanciers, aspirant à la liberté. Cette déconstruction de l’Histoire réexamine les fondements du pouvoir, ses symboles et ses règles jusqu’à la démythification du dictateur, dans le quatrième chapitre : « La transgression à l’œuvre ». L’écriture se met en scène dans : « L’art et la manière de jouer la transgression » et le roman en tant que fiction se fait espace de transgression(s) au sens figuré cette fois. La partie intitulée : « satanisme esthétique », vient finalement consacrer l’avènement de la liberté à la faveur d’un ordre nouveau qui pratique l’outrance et libère la créativité. Décidés à rejeter tout absolutisme, les auteurs dominicains prônent dorénavant le pluralisme et l’hétérogénéité. L’espace littéraire dominicain s’ouvre ainsi sur un vaste horizon, dessiné par un langage nouveau, qui admet volontiers la dissolution postmoderne. Chez Pedro Antonio Valdez, cela aboutit à une véritable « carnavalisation » du matériau linguistique, chez Marcio Veloz Maggiolo, à la réalisation de soi. La maison close, la prostituée et le boléro réinvestissent ainsi l’Être dominicain dans son histoire et son identité, en s’associant à une démarche à la fois ontologique, mythique et culturelle.