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La thèse est tout entière commandée par le souci d'Edith Stein de dépasser la brisure qu'elle constate entre les anciens et les modernes en réconciliant Husserl et Thomas d'Aquin. La question de l'« acte » rapproche, en effet, ces deux maîtres, soit par le Moi pur (Husserl), soit par l'acte d'être (Thomas d'Aquin). Edith Stein, de son côté, tente de respecter la polysémie de l'acte et refuse de l'identifier de façon univoque à l'action. En effet, « quand je pense, j'éprouve, je veux, et dans toute activité spirituelle, je suis et je suis dans l'immanence de cet être » (EFEE, p.42). Mon « je suis » est ainsi un certain être en acte. En lisant Husserl, Edith Stein rapporte le Moi pur à l'acte de conscience. Selon son interprétation, le mot « acte » signifie réalité, vitalité, action, efficience, c'est-à-dire un être réel, un présent vivant, un mouvement spirituel. En tant qu'essentialité, l'être du Moi pur est un acte accompli, condition de possibilité de l'être réel.
En lisant Thomas d'Aquin, Edith Stein relie la question de l'acte au statut de l'être. L'être en puissance a en effet une signification analogique : il est une possibilité, une capacité, un pouvoir. Ce qui est en puissance – un possible ou une capacité – ne peut ainsi passer à l'acte que par ce qui est déjà en acte. L'acte implique donc différents degrés. Cependant, le mot actus possède en latin plusieurs sens. Il signifie certes l'actualisation de la puissance (la mise en acte), mais aussi l'acte pur lorsqu'il se rapporte à l'Être pur (l'Étant premier ou Dieu). En lui, être réel et être essentiel ne font qu'un. L'acte d'être contient donc à la fois le processus d'actualisation et l'entité de l'Être pur.
Se démarquant de façon originale, Edith Stein développe l'idée selon laquelle le Moi pur, en tant qu'acte temporel, n'est pas séparable de la temporalité. Cependant, en tant qu'essentialité, il est un acte intemporel, un « repos en soi-même » qui le rapproche de l'idée de l'acte d'être. La notion d'essentialité du Moi n'est pas pensable, selon Edith Stein, indépendamment du mystère du Λόγος divin, source ultime de toute intelligibilité et acte d'être du sens. Là réside incontestablement la grande percée steinienne dans ce double positionnement relativement à Husserl et Thomas d'Aquin. Le Je suis divin est l'être personnel et spirituel au sens éminent : il informe sa vie elle-même dans une liberté parfaite, car sa vie est entièrement lumière. En lui coïncident vie et essence, être réel et être essentiel. En lui, la plénitude tout entière est éternellement présente : le Je suis « est » tout étant. En Dieu incréé se découvre l'unité de l'essence et de la vie dans la Personne divine, alors que chez l'homme (ou en l'ange) créé, la personne se réalise diversement en raison de son caractère fini. La tension inhérente à l'essai de conciliation de la phénoménologie husserlienne et de la théologie thomiste par Edith Stein ne trouve-t-elle pas son achèvement ultime dans le Je suis en tant qu'Acte pur ?